Honora Englander, un an à Lyon avec la Chaire CIC

Publié le : 03.10.2024

Honora Englander, un an à Lyon avec la Chaire CIC

Le rapport entre les séries Painkiller, Marchands de douleur, Euphoria ou Grey’s Anatomy ? Ces séries abordent toute la crise majeure des opioïdes qui décime les Etats-Unis depuis 20 ans. Le fentanyl, responsable de millions de morts Outre-Atlantique, représente un danger majeur. L’Europe a pour le moment été épargnée, et le Pr Englander, lauréate de la Chaire CIC, est venue à Lyon en mobilité scientifique d’un an pour partager son expérience à ce sujet avec les équipes d’addictologie au SUAL.

Elle est rentrée aux USA en août 2024. Invitée par le Pr Benjamin Rolland, plusieurs financements ont été nécessaires pour permettre son séjour : l’OHSU son employeur américain, l’US Fulbright, l’hôpital Le Vinatier et la Fondation Neurodis grâce à la Chaire CIC. Très sincère et spontanée, le Pr Englander nous a parlé des travaux menés sur le territoire, et confié son ressenti sur son séjour !

L'un des principaux objectifs de votre séjour était de comparer les systèmes américain et français de prise en charge des addictions. Quel est le bilan synthétique que vous dressez à la fin de votre séjour ?

Nous avons comparé les systèmes de soins d’addictions américains et français du point de vue des politiques et de la pratique clinique, en nous concentrant sur la dépendance aux opioïdes. Nous avons d’abord effectué une analyse comparative des politiques. Ensuite, en partenariat avec le Professeur Rolland et Marie Jauffret-Roustide (INSERM, Paris), j’ai observé les soins dans divers milieux cliniques (par exemple, CSAPAs, CAARUDs, hôpitaux) et mené des entretiens auprès de divers cliniciens de santé, décideurs politiques et militants des patients à travers la France. Ce qui ressort le plus, c’est que même si les médicaments utilisés– méthadone et buprénorphine – sont identiques aux États-Unis et en France, les politiques régissant leur utilisation ainsi que les objectifs, les approches des cliniciens varient largement. Les cliniciens français considèrent l’engagement des patients et la réduction des risques comme leurs objectifs principaux. Aux États-Unis, les systèmes, les règlementations, et ensuite les cliniciens se concentrent davantage sur l’abstinence comme objectif.

Vous avez déjà signé une publication avec le Pr Rolland dans l'International Journal of Drug Policy, quels sont les prochains articles à venir ?

En plus de l’analyse comparative des politiques que nous avons publiée dans IJDP, nous publierons les résultats de notre étude qualitative où nous avons interviewé des professionnels de la santé à travers la France (par exemple, médecins, infirmières, pharmaciens, administrateurs) pour comprendre comment les cliniciens utilisent la méthadone et la buprénorphine et conceptualisent les soins. Cette étude explore également les défis potentiels que la France pourrait rencontrer avec une augmentation du fentanyl fabriqué illicitement, qui domine le marché de drogues illicites aux États-Unis et qui représente des menaces réelles en France.

Quel impact ce travail aura-t-il sur les soins des deux côtés de l’océan ?

Ce travail peut influencer la pratique et la politique des drogues aux États-Unis. Actuellement, le congrès américain envisage de modifier sa politique sur la méthadone qui date de plusieurs décennies, et la France est un exemple clé en faveur d’un accès plus facile à la méthadone. De plus, l’exemple de la France a redéfini ma compréhension de ce à quoi les soins aux addictions peuvent ressembler. Alors que les États-Unis s’efforcent d’intégrer des réformes, je pense que nous devons poser de nouvelles questions: non seulement réfléchir à comment changer les systèmes pour qu’ils soient plus accessibles, mais comment modifier les soins pour qu’ils soient plus attrayants et souhaitables pour les patients. Je transcrits certaines de ces réflexions dans cet article : https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/39073833/

L’exemple de la France a redéfini ma compréhension de ce à quoi les soins aux addictions peuvent ressembler.
Honora Englander

Ce travail en France est le fondement d’une future étude intitulée « Fentanyl et autres opioïdes, Overdoses prévention et Réponse Collective », financée par l’Iresp, que nous mènerons en partenariat avec Marie Jauffret-Roustide et d’autres, à travers la France. Cette étude explorera plus en détail la préparation et l’intervention en cas d’overdose en France.

Quel a été ou ont été le(s) moment(s) marquant(s) de votre séjour ?

Au-delà des joies du développement et de l’enrichissement professionnel, vivre à Lyon avec mon mari et deux garçons (6 et 7 ans) a été l’expérience d’une vie. Nous avons inscrit les garçons à l’école du quartier (bien qu’ils soient exclusivement anglophones à leur arrivée) et nous nous sommes rapidement fait des amis, et construit une vie sociale de goûters, apéritifs, dîners, classes ninja, soirées pyjama et sorties au skatepark. Nous avons également eu le plaisir de rendre visite à des amis en Ardèche, à La Ciotat, et en Bretagne, et de voyager dans le Sud de la France. Avoir les garçons dans l’école du quartier nous a permis d’accéder à la culture française. La chaleur, la générosité et l’inclusivité de mes collègues et de nos amis du quartier ont été extraordinaires et nous inspireront à revenir en France pour les années à venir.

 

Quelles perspectives scientifiques avec l'équipe lyonnaise ?

Cette année en France a été le point fort de ma carrière de plus de 20 ans. Mes expériences ont fondamentalement changé ma compréhension de l’addiction et de la réduction des risques, avec des leçons très variées pour la pratique clinique et les politiques aux États-Unis et en France. Cette expérience est le début de ce que je prévois être de nombreuses années de collaboration, d’échanges culturels et d’amitié.

Le Dr Emmanuel Procyk (directeur de recherche CNRS), le Pr Honora Englander et le Pr Stéphane Thobois, président de la Fondation Neurodis le 29/11/2023